L’égo, l’image et le code, et le succès populaire du fascisme.

Dans une société humaine où l’image est une identité, comment la communication use des faiblesses intellectuelles pour faire élire des tarés.

Démonstration par l’étude de la pyramide de l’image.

L’image est à la racine de la pensée, c’est elle qui la compose. Mieux comprendre ce qu’est une image permet d’interpréter sensiblement le monde pour s’en faire une interprétation pertinente.

Qu’est-ce qu’une image et quel lien pouvons-nous faire avec l’égo ?

Une image est le fruit d’un process biologique et mental. D’abord le corps perçoit, ensuite il trie les information, se créant un pattern. De ce pattern inconscient le corps, par des phénomènes de transes légères, va conscientiser un état. Cet état va être ensuite représenté sous forme d’idée, de comportement ou tout autre forme d’expression qu’un alter ego va pouvoir interpréter. C’est la “pyramide de l’image” que je traite tout au long de ce blog.

J’aimerais commencer par préciser la fonction de l’image. Une image nous sert par ce qu’elle représente, dans le fond et dans la forme. L’image exprime quelque chose et son usage est d’être montrée. L’image a pour vocation d’être perçue et ce qui est montré n’est pas seulement l’image mais finalement tout le processus qui a généré l’image. Un dessin évoque une forme, des traits interprétables, bien au delà de sa condition faite d’encre et de papier, mais elle reste un trait sur un papier. Et c’est très important ici, l’image est, ici, avant tout, la représentation d’un process organique.

Commençons par créer une image de toutes pièces, à la manière de Francis Ponge :

  1. L’image représente. Elle représente non pas une chose mais un process. À la racine de ce process, il y a la perception. Je vois du vert, du blanc et du jaune.
  2. Après, la perception se rythme par un pattern. Au milieu d’un vaste ensemble uniforme de petite tiges vertes, je perçoit une forme étoilée blanche avec un centre circulaire jaune. Tout est vert sauf ce petit élément blanc et jaune. Mon corps se sert alors d’un outil inhérent à toute forme d’intelligence : l’abstraction. Je repère un défaut blanc et jaune dans mon pattern vert, je fais abstraction du vert et me focalise sur les couleurs jaune et blanche.
  3. Le phénomène remarquable est isolé, sa forme étoilée peut être comparée à d’autres formes similaires mémorisées dans mon imaginaire.
  4. L’image surgit, c’est une fleur, une marguerite dans une prairie d’herbes courtes (une petite pensée pour Whitman au passage).

Si vous connaissez “La rage de l’expression” de Francis Ponge, vous reconnaîtrez ici sans peine dynamique poétique de ce livre pédagogique.

Ces quatre temps composent ce que j’appelle la pyramide de l’image.

Que vient faire l’égo dans cette histoire de fleur ? Je copie la définition de Wikipédia donnée à la page relative à l’égo. Nous obtenons cette définition :

L’ego (ou égo, d’après les rectifications orthographiques de 1990) désigne la représentation et la conscience que l’on a de soi-même. Il est considéré soit comme le fondement de la personnalité (notamment en psychologie) soit comme une entrave à notre développement personnel (notamment en spiritualité).

Nous pouvons y lire que l’égo est une représentation. J’entends donc volontiers par représentation de soi-même que l’égo est une image de soi-même. Je rappelle que le mot latin “imago” est un masque mortuaire, soit une représentation d’un visage pour évoquer le souvenir et la mémoire d’un corps vivant. L’image est par essence une représentation. Une représentation est étymologiquement une image.

Si le Moi est une image, il/elle devrait se construire sur le même modèle que notre marguerite. Soit une perception, puis un pattern, ensuite un état et une représentation.

Si l’égo est une image, il doit être la représentation de quelque chose qui doit avoir comme usage de se montrer.

Ceci me rappelle à quel point l’être humain est un être à caractère indubitablement social et que le lien social ne peut exister sans qu’il n’y ait une intelligibilité de l’alter-ego. La nature de l’être humain est dans sa capacité à interagir (cela pourrait même être une définition du vivant). Si je ne peux pas comprendre qui est mon alter-ego, je ne peux pas rendre l’interaction constructive, efficace, je ne peux pas “faire société”. De la même façon, si je ne suis pas intelligible pour mon alter-ego, je ne peux pas interagir avec lui.

Faisons un peu de théâtre, ou du moins, de la comédie. Parce que le théâtre est un art qui fondamentalement représente les interactions. Pour que le jeu du comédien soit juste, celui-ci doit se mettre dans un état qui colle à celui de son personnage. Le comédien va donc se créer un état fictif. Pour ce faire il simule une perception globale grâce au pouvoir de son imaginaire, de cette perception il va pouvoir faire émerger un pattern, puis un état. De cette état va émerger un sentiment depuis lequel va “fleurir” une ou plusieurs émotions. L’émotion se distingue du sentiment parce qu’elle est habillée d’un masque (le masque de la peur, de la joie, du dégoût, etc…). Puisqu’il y a le masque, c’est que l’émotion a un usage caractérisé par la communication de son état. On peut simplifier en disant que l’émotion est l’image d’un sentiment qui est l’image d’une perception, et que son objectif est de susciter l’empathie chez son alter ego, et donc l’intelligibilité d’un état, qui va pouvoir accorder les comportements des personnages dans une situation commune par le biais de l’empathie.

(Pyramide de l’image en comédie
: L’émotion est l’imago d’un sentiment qui est l’imago d’un état qui est l’imago d’une perception. En comédie, si l’émotion est jouée de façon brut, cela s’appelle du surjeu. Si l’émotion n’est pas jouée directement mais laissée émergée via sentiment construit par l’élaboration d’un état, alors le résultat est dans la justesse recherchée.)

Il a été montré que dans la famille des émotions, il en existe sept qui sont universelles. Ces sept émotions universelles se retrouvent chez tous les être humains de la planète, elle se manifestent avec les même masques indépendamment de la culture. Ces sept émotions sont innées, inscrites dans le code génétique de l’individu. Se représenter soi-même est une chose inscrite au plus profond de notre nature.

L’égo, de la même façon, est un phénomène naturel présent en chacun de nous et qui a une valeur comportementale utile, mais laquelle ? Si l’égo est ce moi qui se représente, c’est qu’il a une utilité sociale. L’égo est cette partie de la conscience qui ajuste notre comportement pour le rendre adapté à l’autre. Il est une forme de police mentale qui régule le comportement pour que l’individu puisse”appartenir au monde” ! C’est la base de notre sociabilité ! (Et fi de tous les ésotériques individualistes qui méprisent l’égo comme un poison, il n’ont pas conscience qu’ils ne parlent pas de l’égo, mais d’une mauvaise définition de celui-ci.)

Une société complexe comme la nôtre nécessite d’autres représentations de l’individu. Hannah Arendt explique dans “la condition de l’homme moderne”, que la surpopulation d’une société nécessite une organisation de ses membres, justifiant une hiérarchisation. Il faut donc rendre ces membres identifiables pour leur attribuer une fonction. C’est ici que nous autres, nous nous retrouvons avec un état civile, une carte d’identité, un numéro de sécu et plein d’autres formes de matricules. L’état civile est l’image de notre égo dans la société contemporaine, dans le pattern de la foule moderne. C’est une mise en abîme qui n’a jamais été prise en compte dans l’organisation des démocraties, alors que c’est ce qui devrait la distinguer des autres régimes plus totalitaire.

Et c’est ici que la sensibilité de l’individu se perd massivement. En effet demandez à quelqu’un qui il est, il vous donnera plus facilement son patronyme, ou sa fonction, que son tempérament. Et c’est quand cette abstraction violente de notre sensibilité devient une norme que la déshumanisation s’initie dans une société, et que l’égo se transforme en une fiction de nous-même.

Que se passe-t-il si l’égo est remplacé par une image altérée de soi-même, cad par une image amputée de son tempérament. Si l’égo, celui qui régule le comportement pour le rendre sociable, est amputé de son tempérament, alors l’individu devient le produit d’une influence plutôt que le produit d’une intelligence sensible et légitime ! Ce qui, au passage, correspond tout à fait à l’idéal capitaliste et explique comment tout notre système économique et social nous éduque à n’être que des pourceaux de femmes et d’hommes libres.

Que devient une image quand on l’ampute de l’origine sensible de son process ? Si on enlève à l’image l’origine de sa genèse, soit la perception organique qui lui a donné naissance, on obtient ce qu’on appelle un code. Un code est une image qui fait référence à rien, et dont l’origine est une logique pure au dépens d’une perception sensible. Se vêtir d’un code vestimentaire est une façon de s’habiller en référence à une chose, mais ne permet pas pour autant d’incarner cette chose. Le code de la route est un ensemble de règle qu’il faut respecter pour organiser logiquement la circulation, mais interdit par là-même de conduire instinctivement ; le code pénal fonctionne de même. Le code secret est une image sans fondement, ce qui le rend impossible à deviner. Etc… Le code est donc une image à laquelle on a enlevé sa racine faite de perception et d’incarnation. Une publicité est un code, une marque est un code, les réseaux sociaux sont noyés de codes etc… notre société baigne dans ces images altérées, nourrissant les esprits de suffisances et dont les membres finissent par en acquérir la logique pour les adopter, leur donnant l’impression de comprendre chaque chose, d’être capable de raisonner intelligemment mais sans jamais être capable d’incarner ses idées. C’est l’idée d’une intelligence désincarnée. Ceci est vrai dans chaque mouvement de masse, dans chaque psychologie de masse et est présent dans chaque communauté qui ne met pas en avant l’intérêt de la sensibilité et du libre arbitre. C’est aussi ce qui est à l’origine de formes violentes de manifestation idéologique.

Et c’est quand le code devient omniprésent qu’on enseigne la crédulité à l’individu. Et un individu qui construit son égo via la logique du code, au dépens de la pyramide de l’image, devient un être manipulable et incapable d’empathie. Que se passe-t-il quand on ampute un être de ses capacités à ressentir ? Il nourri une société qui est en proie aux influences les plus nombreuses et absurdes. C’est ce qui donne naissance au mouvements radicaux et populistes. C’est ce qui rend le totalitarisme séduisant pour certains intellectuels. C’est ce qui ouvre les portes à la désinformation la plus vertigineuse. C’est sur ces valeurs désincarnées que le président Trump existe de façon très spectaculaire. C’est ce qui rend la religion potentiellement dangereuse. C’est ce qui rend l’art moins intelligible, au profit de la propagande. C’est ce qui fait les sociétés fascistes, rien que ça.

L’individu par le code n’est rien d’autre que l’entité d’une société désincarnée. Mon sentiment est que cette humanité est celle que nous habitons aujourd’hui.

La seule solution que je suis capable d’estimer efficace, est d’intéresser les populations aux pratiques artistiques. Et il ne s’agit pas de consommer, il ne s’agit pas d’acheter un beau dessin ou écouter la meilleur musique possible, mais bien de pratiquer, de prendre un crayon ou une guitare et de construire sans relâche dans le but de perfectionner la justesse de l’image, dans ce qu’elle représente comme perception, dans le jeu du partage et de la représentation.

La culture est-elle un produit non essentiel ? Si on considère la culture comme celle qui est nourrie par ces égos désensibilisés, alors oui, c’est une bonne chose à mes yeux. Si la culture est la représentation d’une société faisant interagir des êtres sensibles à la justesse de leur ressentis, alors elle est plus que nécessaire, elle est une essence pour une humanité libre et en bonne santé, au delà de tout les détails qui sont exposés dans les médias.

Comments

  1. “Si la culture est la représentation d’une société faisant interagir des êtres sensibles à la justesse de leur ressentis, alors elle est plus que nécessaire, elle est une essence pour une humanité libre et en bonne santé …”
    Je ressens un tel accord vibratoire avec ce propos que j’en ai pleuré…
    Cela fait du bien.

Répondre à MichelAnnuler la réponse.