L’image est à la racine de la pensée, elle est la nature même de ses rouages. Qu’est-ce qu’une image ? Comment construit-on une image ? Comment lit-on une image ?
Pourquoi flouter une image ?
Qu’est-ce qu’une image ? Comment construit-on une image ? À quoi sert une image et comment faut-il la lire ? Pourquoi, alors, flouter une image ?
« Imago », son ancêtre latin, signifiait le masque mortuaire. L’« imago » est donc un objet créé par globalisation, pour simplifier un sujet et le rendre plus efficace comme outil de réflexion ou de mémoire.
Les images sont partout. Elles sont tout ce qui est sur nos écrans, et en permanence. Elles sont les mots eux-mêmes, les mots écrits sont l’image des mots parlés qui sont eux-même l’image des choses évoquées par le concept du mot. Et l’image peut-être beaucoup plus encore.
Nous pensons en image et notre esprit n’est qu’une immense bibliothèque d’images rangées dans la nébuleuse de notre connaissance empirique, qu’on appelle plus couramment notre imaginaire, trop souvent amalgamé avec la créativité.
Si l’image est le fruit d’une globalisation, elle a donc, dans sa genèse, subit des abstractions. Ceci pour focaliser un sujet sur un de ses aspects : l’aspect utile à l’esprit, celui qui permet de raisonner lui conférant ainsi un pouvoir narratif. L’abstraction est le moteur de l’image.
Voici typiquement comment nous nous servons de l’image : Enfant, j’ai appris qu’un morceau de bois ou de métal qui avait cette forme si singulière s’appelait une cuillère, et qu’elle servait à sélectionner une partie de mon repas pour la porter à ma bouche. Depuis, je sais reconnaître une cuillère instantanément, je peux la nommer, et il m’est plus facile de deviner l’usage qu’on peut faire d’une pelle.
Pour construire une image, le chemin est très long.
En premier lieu, il faut percevoir, comme chaque chose qui concerne la vie incarnée. Alors je perçoit mais lorsque mon corps perçoit seulement, il perçoit tout. Quelques personnes on fait l’expérience de perception accrue dans des états de transe. Mais percevoir sans filtre est une chose assez déroutante et finalement, assez inintelligible. Difficile d’être vigilant simultanément en chacun de mes sens et de toutes les choses qu’ils sont capables de percevoir.
Il faut donc trier les informations, et si possible celles qui sont pertinentes. Il faut abstraire.
Comment trier par l’abstraction les choses qui ne sont pas remarquables. Et qu’est-ce qui n’est pas remarquable pour le corps ? On peut essayer de répondre :
Dans le bruit de cette perception, certaines sensations sont plus fortes, ou plus fréquentes, donnant à notre perception un sentiment de schéma que les anglophones appellent « pattern ». Je ne connais pas la traduction en langue française de ce « pattern », je doute même qu’elle existe. Les musiciens, eux, sont familiers de ce terme qui indique l’état dans lequel se joue et se ressent un rythme, une mélodie. Le pattern est donc la perception utile derrière le filtre d’une abstraction perceptive. Le pattern est l’imago de la perception.
Quel est maintenant l’imago de ce pattern ?
En d’autre termes, comment l’esprit arrive-il à rendre un pattern utile ? Avant de rendre un pattern utile, il faut d’abord le conscientiser. Pour ce faire, le corps fabrique un état de ce pattern. Cet état peut-être une sensation très localisée comme la sensation d’une coupure, avec l’image de la plaie, une sensation plus généralisée comme une état d’intoxication ou de bien-être. Pour l’espèce humaine elle peut aussi se manifester sous la forme d’un sentiment. Gardons cet exemple du sentiment qui est un exemple d’un intérêt tout particulier dans notre société.
L’abstraction, à ce stade, est l’abstraction mécanique induite par la spécialisation organique du corps. C’est le filtre de ce dont notre corps est capable, l’abstraction étant en ce que le corps est incapable de produire et de ressentir par ce qu’il est.
Le sentiment est donc l’imago d’un pattern qui est l’imago d’une perception. Mais le sentiment n’est pas encore une image, puisque il n’est pas encore une chose utile en soi. Il encore une chose subie.
Ce qui va rendre un sentiment utile, c’est ce qui va lui permettre d’avoir une impact dans le monde physique, parce que c’est dans le monde physique que les entités interagissent. C’est ici que l’image surgit : dans cette exemple elle est l’émotion.
L’émotion aussi est souvent amalgamée avec le sentiment, et c’est ce double amalgame imaginaire/créativité – sentiment/émotion, qui me pousse à écrire ce texte. Rien n’est plus important aujourd’hui que de mieux définir ces choses qui sont à la base de notre esprit. Un troisième amalgame de toute importance sera dénoncé dans ce texte.
Comment distingue-t-on un sentiment d’une émotion ? C’est le masque. Il y a le masque de la colère, de la joie, de la surprise, etc… mais il n’existe pas de masque pour l’amour, le bonheur et le déshonneur. Et c’est en cela que l’émotion est une image utile : la communication.
L’émotion est donc l’image d’une perception par ce qu’on pourrait appeler la pyramide de l’image. L’image de la pyramide est pertinente car à chaque marche de la pyramide, les bords sont rognés par l’abstraction.
L’artiste est une sensibilité capable de voyager dans cette pyramide, il sait créer des images et il sait aussi les interpréter, en comprendre l’origine. C’est le fruit d’un entraînement.
Et c’est en cette qualité d’artiste que j’écris ce texte, parce qu’une image est une histoire vraie et incomplète, et que la société dans laquelle je vis dénature complètement cet outil fondamental, et que nous en souffrons tous. Notre société du spectacle a totalement détruit les bases de cette pyramide, créant le pire des amalgames. Qu’est-ce qu’une image sans le pattern, sans la perception ? C’est un code ! Et nous nageons dans les codes que notre culture folle s’entête à appeler une image.
Ce dont je parle ici n’est rien d’autre que l’essor des pensées fascistes, du succès de Trump et des complotistes, du fanatisme religieux… Je pense que chaque acteur de ces déviances comportementales est une personne qui ne sait pas lire une image, mais qui est capable d’assimiler n’importe quel code comme étant une image, et de l’apprendre comme une vérité.
On ne peut pas concevoir l’artiste plus précieux dans ce monde qu’avec ce genre d’analyse.
Pourquoi flouter une image alors ? Parce qu’en faisant abstraction de l’essence d’une image, de ce en quoi elle est pertinente, on lui enlève sa force, sa nature et son origine sensible.
Pourquoi flouter le visage d’un policier si ce n’est pour focaliser sur son uniforme, qui devient un rôle de machine déshumanisée, la confortant elle-même dans ce rôle mécanique.
Un policier est-il un représentant de l’état (une image de ses compatriotes), avec un visage humain, quelqu’un qui se lève le matin pour agir dans le monde comme chaque entité démocratique, ou un simple acteur de la répression d’un monde codé qui ne reconnaît plus la peur et la douleur dans les visages de ceux qu’il cogne ?
Flouter une image, c’est faire abstraction de la perception qu’elle évoque. C’est faire abstraction de l’expérience qu’elle propose, c’est faire abstraction de cette image, rien d’autre. C’est vivre avec des codes, encore plus, toujours plus.
Flouter une image, c’est faire abstraction du corps de celui qui la lit, c’est lui apprendre à raisonner avec des codes, et finalement, se désincarner.